Jovenel Moïse : le tombeau sacré des élus (Première Partie)
Jovenel Moïse : le tombeau sacré des
élus (Première Partie)
par Méleck Jean Baptiste,
En tant que politologue, communicateur social
et jeune chercheur, il m’incombe une cuisante responsabilité d’écrire sur
l’histoire politique immédiate en vue de saisir le sens et la portée des faits
alimentant le quotidien truffé d’embuches, d’implicites et de non-dits. Les
controverses autour de la personnalité politique touchant autant la forme et le
fonds de la vie du 58e président d’Haïti interpellent des explications
scientifiques dans l’espace public en vue de charpenter urbi et orbi les grands chantiers de l’avenir. Aujourd’hui, le
destin de tout un peuple dépend de ses prises de décisions, de sa vision
politique, de ses projets managériaux au-delà des contingences du temps bien
évidemment. Dans un pays qui souffre d’organisation politique stable et de
projet socio-politique viable, d’isolement international, de saignée migratoire
forcenée, l’improvisation devient norme triomphante artificielle des couches dominantes
pour garder le pouvoir au grand dam des marginalisés, des chômeurs et des
attributs populaires.
La transition démocratique de 1986 logeant
enseigne aux élections a galvaudé le terme populaire. On peut être populaire
sans avoir des rapports de force qui jouent en sa faveur. Aujourd’hui, le
protégé de Michel Joseph Martelly, semble avoir obtenir tout en sa
faveur : rapports de force, communauté internationale, la minorité
agissante, la majorité silencieuse, des madrés ou des animaux politiques, le parlement
avec un quorum rose, des élus réunis aux quatre vents de Les Irois jusqu’à
Ouanaminthe pour ne pas dire l’effet Kita Nago. Dieu seul sait combien des
erreurs colossales de l’opposition ont servi au régime Tèt Kale dans le
processus de la conservation du pouvoir. Pris au piège de la léthargie
ambiante, atrophié par manque d’ouverture à la jeunesse, méfiant dans son
émiettement, le mouvement populaire liquidé par des come-back et des éternels out
siders, aurait du mal à donner les
résultats politiques escomptés. Sans le vouloir, le secteur démocratique par
manque d’alternatives et de stratégies de prises du pouvoir, a ouvert la voie à
la beauté iconoclaste des saisons d’innovation politique. N’était-ce le petit
carnet d’exclusion livré par le Conseil électoral provisoire d’alors au recteur
Jacky Lumarque, l’effet surprise pourrait faire sa marque à l’instigation du
parti politique Vérité. Pour avoir trop tiré sur la corde de la démocratie
pendant près de deux ans de campagne électorale inédite, tous les candidats
(les prétendus élus) ont livré une carte de bénédiction ou d’accréditation
sacrée à Jovenel Moïse. « Ni le religieux ni le politique ne semblent
offrir la base d’un nouveau lien social en Haïti après l’effondrement du régime
dictatorial de Duvalier en 1986 ». Or, c’est cette mission titanique
qui est confiée à Jovenel Moïse en lui accordant un mandat quinquennal
constitutionnel.
Volontariste à outrance et peu
conflictuel
Pour ceux qui souhaitaient un doux divorce
avec la bande rose amenée par Sweet Micky converti en Michel Joseph Martelly,
puis reconverti en Sweet Micky pour se métamorphoser une énième fois en Michel
Joseph Martelly, Jovenel Moïse représente dans ce contexte la figure la plus
représentable, la version consommable idéologiquement non négligeable basée sur
le changement d’une alternative au rabais contre un dessalinisme pur et dur
prôné par l’autre Moïse (Moïse Jean Charles). Avec un sourire pitoyable et très
peu conflictuel, ses discours de campagne quoique agressifs privilégient
l’alliance des classes sociales au détriment de la lutte des classes. C’est
pour cela qu’il peut faire réunir au palais national autant d’éléments de la
classe bourgeoise que de la classe moyenne.
Il a plus de sagacité et de verbes que son
initiateur, Michel Joseph Martelly. Il est une boîte à parole cachée dans
l’hémisphère occidental attendant pour lui-même la venue triomphale des dieux.
Sa réussite électorale et communicationnelle tient du fait qu’aucun de ses
concurrents à la magistrature suprême de l’Etat n’ose déconstruire ses discours
de campagne. Dans la mesure où tout discours fait corps avec l’émetteur, le
déconstruire c’est déconstruire son émetteur. Or, certains candidats se
contentent d’imiter servilement les slogans de campagne de leurs concurrents.
Dans « La présentation de soi, la
mise en scène de la vie quotidienne », le sociologue et écrivain Erving
Goffman de la célèbre école de Chicago nous montre comment la gestuelle des
acteurs peut trahir ou confirmer leurs intentions. Sachant que la vie est une
vaste scène de théâtre, Jovenel Moise est celui qui sait mieux jouer sa part
dans nos malheurs. Lors de ses présentations, sans froisser les interactants,
il mène la danse sans perdre la face. Il n’y a nul doute que le nouveau
président d’Haïti soit un grand cinéphile. Plus que les autres, il prend très
au sérieux ses répétitions et sait que la guerre sans préparation est perdue
d’avance. En tant que produit politique, il vend une façade personnelle unique
(physionomie, visage souriant ou dur comme fer, personnalité physique, tonalité
musclée de la voix, habits décomplexés). Cette posture sera fondamentale dans
le choix des électeurs. Beaucoup des gens qui l’ont choisi ont voté un symbole
(la banane) et un statut (l’entrepreneur, le petit paysan ou l’enfant
souriant). Ce qui correspond à l’effet combiné de la volonté populaire et de
l’offre politique. Mais, comme le
souligne à juste titre le roi polonais Stanislas Leszczynski : « Le pouvoir ne répond pas toujours à la
volonté. Il faudrait consulter l’un avant l’autre, mais la plupart des hommes
commencent par vouloir ; ils agissent ensuite comme ils peuvent ». Dans sa stratégie discursive, ses actions
publiques, ses promesses, son début de gouvernance, Jovenel Moïse ressemble
plus à un philosophe politique bienfaisant, un génie entreprenant qu’à un homme politique.
L’enfant tout souriant du Bondye bon
JOMO ou JOJO est le surnom de celui tout
souriant qu’on croit être naïf. Par son talent d’alterner le sourire et le
sérieux, il détient l’avantage de l’émetteur triomphant et profite de la
passivité du récepteur. Il est le prototype de l’enfant du Bondye bon. Dans la sociologie politique haïtienne, les gouvernés
pour se rapprocher des gouvernants ont
développé une sorte d’affectivité socio-politique de l’appellation. Ainsi, dans
le sillage de la longue transition, Jean Bertrand Aristide fut appelé Titid,
René Préval Ti René, Michel Joseph Martelly Ti Simòn.
A
suivre…
Méleck Jean Baptiste, Politologue
Communicateur social
E-mail : mjbht2015@gmail.com
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