Un jeune du Nord ’Est écrit au président Jovenel Moïse

Un jeune du Nord ’Est écrit au président Jovenel Moïse



par Méleck Jean-Baptiste
Après plus de deux cent ans d’élections et de constitutions d’une jeune démocratie sous les béquilles, habillée de fragiles casques bleus et de bottes noires depuis plus une douzaine d’années- Dites-moi à haute voix qu’allez-vous faire Monsieur le Président pour recoudre le tissu social extrêmement fragmenté par le crétinisme politique ambiant ? Pour répéter Edmond Paul dans  Les causes de nos malheurs : « Cédant à la pression de nos besoins, nous donnons au monde ce spectacle d'une jeune nation, née à des hauteurs étonnantes, se coupant les ailes pour tomber au niveau de toutes les abjections ».
Peut-on aujourd’hui encore prendre au sérieux les discours des protagonistes quand on regarde ce pays exsangue et l’agonie morale de toute une époque ? L’agriculture dont vous avez fait le tremplin de votre bataille électorale et qui a assuré votre victoire politico-communicationnelle aux urnes ne peut se faire sans une juste réforme agraire en prenant en compte les droits des éternels exclus décapitalisés par le mirage de la partance.
J’ai un dur devoir d’exister non seulement en Haïti, mais aussi envers ma génération dont la majorité hélas s’est exilée vers le Chili, le Brésil, le Surinam et la République Dominicaine. Ces jeunes qui partent avec velléités de retour sont mes sœurs et frères, mes cousines et cousins, mes ami(e) s, des anciens élèves de lycées et de collèges jadis de renom. Ils sont intelligents, beaux, truffés d’énergie, passionnés d’avenir, étincelants et fougueux comme vous. Ils proviennent aussi de votre ville natale, Trou Du Nord et de notre département commun, le Nord-est, malheureusement mis en quarantaine depuis belle lurette par la chefferie de Port-au-Prince.  Dans cette grave contexture politique, en dépit de vos promesses dont la concrétisation se fait encore attendre, en face de la République Dominicaine, la ville frontalière de Ouanaminthe périt sans infrastructures sous le regard indiffèrent de l’Etat central.
Ma conviction profonde sur la permanence de la crise haïtienne est le fait qu’il existe très peu d’hommes éclairés dans ce pays. Si le président Faustin Soulouque a relaté les propos suivants : « Je saurai me conduire en chef », - il fera plaisir au peuple haïtien de vous entendre dire : « Je saurai me conduire en homme éclairé ». L’essentiel consiste à vous élever au-dessus des clivages socio-politiques, des contradictions politiques traditionnelles et des conflits de caciquats. Malgré les atermoiements d’une prise de parole consciente dans l’espace public,  la vie de nos compatriotes se bascule incessamment entre ombre et lumière sclérosée par la sauvegarde à qui mieux mieux d’une élite apatride. L’éthique de responsabilité exige à tout chef d’Etat la quête du progrès et de la modernité irréversibles.
J’ai l’obligation de vous exhorter, Monsieur le Président durant le reste de votre quinquennat pour œuvre pérenne qui vaille, à créer un Ministère d’Etat aux Affaires Humanitaires pour prendre le contrôle progressif des couches vulnérables de la population haïtienne. Ceci ne constituerait pas un entonnoir pour canaliser l’aide humanitaire des nantis du Nord. Au contraire, il sera une réponse palliative aux interventions humanitaires internationales en Haïti lesquelles constituent des formes de gestions du sous-développement dans le cadre de l’exécution d’un projet de gouvernance sans apothéose d’avenir.
Savez-vous, Monsieur le président, en vertu de l’évolution actuelle du monde liée à l’interdépendance et au transnationalisme, il nous faut un Ministère des Nouvelles Technologies, de l’Energie et du Développement Durable. Cette Institution régalienne aura pour tâche  de coordonner les grandes actions de l’Etat par la gouvernance électronique, d’assurer des débouchés pour nos entreprises locales par l’e-commerce, de développer des formes d’énergies alternatives en fonction de nos ressources immédiates.
Il nous faut aussi une régénération spirituelle de l’être haïtien afin que nous puissions réellement guider par une âme collective de grandeur entamée par les fameux va-nu-pieds de 1804. L’urgence de l’heure nous impose aussi la convocation des états généraux de la Nation Haïtienne en vue d’aboutir à un pacte socio-politique viable soucieux du sort de nos générations futures. Comment allons-nous faire cette maxime une réalité : « Les Haïtiens peuvent  partir à tout moment s’ils le désirent (le voyage étant un droit légitime et non un devoir d’exister) mais ils ne doivent pas être dans l’obligation de partir  » ?
Monsieur le Président, pour le bien-être collectif, comme l’a fait plusieurs pays de l’alma mater Afrique (dont le Rwanda et récemment le Bénin),  il me ferait plaisir au nom de la jeunesse haïtienne et de la classe paysanne dont je suis issu de nous présenter votre plan de gouvernance dans les 4 années à venir avec des projets sectoriels bien charpentés et leurs possibilités d’impact sur la transformation des conditions de vies de la population. C’est réellement bien de cette manière que le peuple nordésien sera plus fier de vous et qu’on vous retiendra au panthéon de l’histoire.
On dit fort souvent que Testis unus testis nullus (un seul témoin ne suffit pas), si cela ne vous dérange, permettez-moi de vous faire la médiation publique de cette correspondance. Sans vouloir m’ériger en donneur de leçons, avec l’espoir d’un lendemain meilleur qui se fait encore trop attendre pour notre patrie commune, recevez toutes mes civilités et amitiés.

Port-au-Prince, le 7 février 2018

Méleck Jean-Baptiste
Politologue

mjbht2015@gmail.com

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