Le syndrome de la désolation croissante chez les jeunes en Haïti d’aujourd’hui !
Le syndrome de la
désolation croissante chez les jeunes en Haïti d’aujourd’hui !
Par Marc Donald Jean
Baptiste
Il y’a de cela 3
ans environ, je discutais avec un ami sur la problématique de la jeunesse en
Haïti, le point de départ de cette discussion était de savoir pourquoi tant de
jeunes quittent le pays? Pourquoi la culture de « vivre ailleurs á n’importe
quel prix » devient la seule issue de la majorité de jeunes haïtiens? Mon hypothèse se décline ainsi : parce que
l’organisation de l’Etat haïtien n’a pas besoin de cette catégorie ; autrement
dire, parce que nous sommes dans un processus de réinventer la démocratie en
Haïti.
Bref ! Dans ce
court papier, volontairement, nous n’allons pas entrer dans une grande
discussion théorique, historique sur le concept de démocratie ; nous épousons
la plus simple définition qui peut exister pour le concept : un système politique
dans lequel le pouvoir est exercé par le peuple et pour le peuple de manière
directe ou indirecte. Ce qui s’impose en Haïti depuis la fin du XXème siècle
est une forme détournée de démocratie sans pouvoir réelle et symbolique de la
masse, qui est soustraite de toute participation directe et indirecte. Dans ce
système démocratique haïtien, le seul qui a le pouvoir est le Dieu du ciel et
des petits dieux humains manipulateurs qui utilisent leur position de pouvoir
(un député, un sénateur, un officiel, un directeur d’une entreprise, un
professeur…) par exemple. Tout passe par le grand Dieu ou par un petit dieu
humain. Eux seuls peuvent tout résoudre, et tout faire (l’omniprésence et
l’omnipotence divine et humaine). Remettre notre destin entre leur main c’est
le seul moyen de survivre dans ce système, (si comme jeune tu veux avoir un service
public, un emploi indépendamment de tes compétences et qualifications, deux
choix s’imposent : prie le Dieu du ciel, aussi si tu dois passer par l’un de
ces petits dieux humains qui maitrisent mieux le système par le biais de la
corruption) donc c’est un processus de sacralisation, où des humains deviennent
Dieux et l’acquisition des droits sociaux deviennent des faveurs.
Dans cette optique,
les jeunes malgré tous ces efforts se sentent inutiles intérieurement, entrent
dans un processus de remise en question personnellement. Ils cultivent une
passivité totale qui devient l’essence même du renforcement de ce système
démocratique réinventé ! Parce que plus que tu réclames la participation
sociale citoyenne, vite que tu es sujet à écarter. C’est une démocratie qui
fonctionne sans participation ou avec une participation contrôlée, orientée et
détournée. Mieux que le groupe est petit, plus il est facile à contrôler. Ce
système n’a pas besoin de légitimité populaire, mais plutôt de légitimité du
dehors qui vient de loin « du blanc ». En témoigne les deux dernières élections
présidentielles et législatives ou nos élus sont arrivés au pouvoir avec un
taux de moins de 30% de participation populaire. Donc «
laisser partir » ou « encourager à partir » devient un outil politique pour cet
Etat pour se reproduire, avec deux raisons charnières : la première, c’est plus
facile de manipuler un groupe mineur et deuxièmement, c’est mieux aussi de forcer
cette partie de la population « de trop » vers la sortie parce que le
système de services publics a été construit sans eux. Ainsi donc, la dernière
déclaration du maire des Cayes sur la situation des jeunes qu’ils invitent à
aller au Chili en masse, et même leur donner de l’argent pour partir dans
certain cas, réponds aux exigences même de la reproduction du système de
démocratie que nous sommes en train de réinventer. Rien d’étonnant ! Le maire
actuel, dans son ancien état d’ancien député, ancien sénateur et probable chef
après ce mandat, est le prototype d’un petit dieu utile du système qui est en
train de jouer son rôle.
En effet, dans
cette perspective de réinvention par le détournement, l’Etat à travers le
gouvernement central et l’église deviennent les deux acteurs promoteurs de
cette démocratie. Ensembles, ils rentrent dans un dynamique de « toupizi »,
mentalement (contrôle de la subjectivité citoyenne) et physiquement (à travers
les taxes et impôts) la population haïtienne. En même temps, ils imposent et
véhiculent les valeurs sociales de réussite et son contraire. Comme jeune, on
t’apprend à inculquer les grandes vertus républicaines, mais l’histoire montre
que les plus grands corrupteurs et imposteurs se cachent au sein de l’Etat et
les églises. Aujourd’hui le jeune haïtien devient confus, après avoir écoulé et
épuisé le couloir traditionnel vers la mobilité sociale dans les pays pauvres
qui est l’éducation et reste toujours au même point dans une totale précarité. Même
ceux qui arrivent à faire un éclat individuel sont dans la même situation de
stress quotidien que ceux qui n’ont pas eu cette chance. Dans cette situation
ce qui s’impose est la dépression et la désolation. Autrement dit, le jeune haïtien arrive dans
un moment où il est emparé par le sentiment de désolation, d’abandon par ceux
qui lui ont guidé des valeurs durant toute une vie. Et cette désolation pour
répéter Hannah Arendt est un sentiment qui est le résultat de la totalité du
vécu des hommes et de la façon dont les choses leur apparaissent. Le jeune
désolé se trouve dans une situation radicalement abandonnée au monde et par les
autres. Ils perdent tout sentiment d’appartenance. Et vivent avec le sentiment
qu’il a été trompé durant toute sa vie. Et chaque jour cette désolation devient
croissante.
Aujourd’hui, la
désolation croissante, dans le contexte haïtien, c’est l’état d’esprit d’un
jeune qui a tout fait en termes de respect pour les Dieux et les petits dieux
humains, et au final qui sort déçu. Dans l’ensemble, la société veut le
culpabiliser ou lui-même s’auto culpabilise, comme quoi il est le premier
responsable de sa situation. On est en face d’une perte de pouvoir de
discernement du jeune lui permettant d’identifier l’ennemi commun et le
combattre. Et de ce fait, il ne veut pas s’organiser en groupe de pression
progressiste pour forcer l’Etat devant sa responsabilité. Toute tentative
subversive pour lui représente un moment d’emmerdement puisqu’il se considère
passager sur cette terre, ou ne va déranger ces maitres. Pour lui sa place
serait à côté du grand Dieu ou à la place d’un des petits dieux humains (chaque
jeune que tu rencontres aujourd’hui est un potentiel candidat). Et toute ces
énergies ont été canalisé vers cet objectif, jusqu´à ce que ce couloir « du
paradis de l’ailleurs accessible » apparaissent comme une échappatoire de
dernière occasion.
Marc Donald Jean Baptiste
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